REVELATIONS. Emmanuel Macron-Edouard Philippe : l’histoire secrète de leur divorce « les décisions étant confisquées par le « quatuor » que forment Macron, Philippe, Kohler et Ribadeau-Dumas » et « Philippe l’homme des explications simples et modestes – « Il y a bien des choses que nous ne savons pas», répète t-il . Macron, s’efforce d’expliquer sa stratégie, mais sa vision optimiste contredite par les lenteurs de l’administration. »
- Par
- Hervé Gattegno

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Les couples exécutifs ne sont pas faits pour le bonheur. S’ils sont unis « pour le meilleur et pour le pire », le Président et son Premier ministre ne se doivent qu’une fidélité relative et temporaire. Entre eux, le serment « jusqu’à ce que la mort nous sépare » n’a pas cours. Dès le premier jour, ils savent que c’est la politique qui les éloignera. Durant leur vie commune, on remarque d’abord leurs complémentarités ; avec le temps, on souligne leurs dissemblances. Quand les désaccords font surface, le divorce approche. Ce qu’ont vécu Emmanuel Macron et Édouard Philippe entre le 15 mai 2017 et le 3 juillet 2020 n’aura pas échappé à cette fatalité.
« Ce sont deux caractères, deux sensibilités ; dans leur histoire, c’est la psychologie qui domine tout », confie un ancien collaborateur d’Édouard Philippe. Un haut dirigeant de la majorité, qui les a vus fonctionner de près, résume : « Macron-Philippe, c’est la rencontre du type le plus soupçonneux du monde avec le type le plus susceptible du monde ; un parano et un orgueilleux, ça ne pouvait pas être simple. »
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Dans le livre qu’il consacre à ses 1.145 jours passés à la tête du gouvernement, Impressions et lignes claires (JC Lattès, coécrit avec son conseiller et ami Gilles Boyer), l’ancien Premier ministre expose sans amertume : « Les raisons qui peuvent pousser un président à changer ou à garder son Premier ministre sont, à la vérité, un peu mystérieuses, et n’appartiennent qu’à lui. » Comme il s’interdit d’y relater ses entretiens avec le chef de l’État, la chronique de leur séparation n’apparaît qu’en filigrane de son récit. Elle constitue pourtant, autant qu’une affaire d’hommes, un tournant décisif dans le quinquennat d’Emmanuel Macron. Pour cela au moins, elle mérite d’être racontée.
Chapitre 1 – Le temps des anicroches
Les premiers mois ressemblent à une lune de miel. Leur complicité semble idyllique. En confiant le gouvernement au maire du Havre, lieutenant d’Alain Juppé et quasi inconnu des Français, le nouveau Président a choisi la recomposition par la transgression : lui vient de la gauche, Philippe de la droite. Mais c’est aussi un énarque issu du Conseil d’État, et le bras droit de Macron, Alexis Kohler (secrétaire général de l’Élysée), lui a vanté ses mérites. Ensemble, les deux jeunes hommes (Macron a 39 ans, Philippe 46) pourront secouer l’État sans le faire vaciller.
Entre eux, le contrat est clair : « Le dépassement des clivages, la transformation du pays », a énoncé Philippe à son équipe. Autrement dit : arrimer la droite modérée à la majorité pour lancer les réformes dont la France a besoin : le droit du travail, la fonction publique, le statut des cheminots, l’assurance chômage, les retraites, demandez le programme…
Les manigances du dessous
S’ils se tutoient quand ils sont seuls, leur lien de subordination est évident. « Je sais ce que je dois au Président, explique alors Philippe avec franchise. Je mesure la chance qu’il m’a donnée – et le risque qu’il a pris. Si Juppé avait été élu, j’aurais peut-être été ministre du Budget ; Macron m’a donné beaucoup plus. Je ne pourrai jamais l’oublier. » Il admet d’autant mieux sa vassalité qu’il ne cache pas son admiration pour l’audace et l’inspiration du chef de l’État. Leur attelage rappelle le duo Giscard-Chirac de 1974 : le visionnaire et l’organisateur, le centriste et le gaulliste – jusqu’au magnétisme du premier sur le second, mais qui n’a pas duré…
Pour Édouard Philippe, la référence est plutôt Georges Pompidou. Nommé à Matignon en 1962 par la grâce du général de Gaulle, il était un gestionnaire doublé d’un littéraire, un conservateur épris de modernité, un tempérament indépendant mais un homme de devoir. Le maire du Havre se reconnaît dans ce portrait, et cite son modèle à tout bout de champ. Au point que, dès la fin de 2017, certains proches l’alertent : l’exemple est à double tranchant. En 1968, quand la bourrasque de mai faillit emporter le pouvoir, de Gaulle sortit vainqueur mais affaibli. Pompidou, devenu le recours, fut limogé. « On lui a dit de mettre un peu en sourdine le couplet sur Pompidou, confirme un membre de son équipe. Reconstruire le pays, oui ; entrer en rivalité avec le président, non. »
Le premier qui crée un conflit avec l’Élysée, il dégage. Il ne peut pas y avoir autre chose qu’un alignement.
À Matignon, la prudence est une hygiène de vie… et de survie. Le directeur du cabinet d’Édouard Philippe, Benoît Ribadeau-Dumas, a prévenu : « Le premier qui crée un conflit avec l’Élysée, il dégage. Il ne peut pas y avoir autre chose qu’un alignement. » Lui aussi quadra et conseiller d’État, Ribadeau-Dumas a été imposé à ce poste clé contre l’avis de Macron. Raison de plus pour donner des gages. Et se méfier des entourages. Car la mécanique du pouvoir est ainsi faite que l’harmonie au sommet n’empêche pas les manigances par-dessous. Elle peut même les attiser : les décisions étant confisquées par le « quatuor » que forment Macron, Philippe, Kohler et Ribadeau-Dumas (ils tranchent autour d’un déjeuner chaque lundi les questions importantes), les subordonnés, pour exister, font leur miel de la moindre divergence – un conseiller de Macron déplore, avec le recul, « la nuisance des équipes B et C ».
À qui s’étonnait un jour de confidences distillées dans la presse par des interlocuteurs ayant « leurs entrées à l’Élysée », François Mitterrand avait objecté : « À l’Élysée, il y a beaucoup de portes. » Les lieux n’ont pas changé, ni les pratiques. Régulièrement, après la lecture d’un écho vipérin, Ribadeau-Dumas appelle Kohler : « Qui parle chez toi? » Il s’entend répondre : « Je vais voir, ne t’inquiète pas, ce n’est rien. » Pour qualifier leurs différends, les deux équipes utilisent a posteriori le même mot : « Anicroches ».
La question du départ
Sur l’évacuation de Notre-Dame-des-Landes, Matignon est prié de modérer ses ardeurs policières. Sur la limitation à 80 km/h, pourtant impopulaire, l’Élysée laisse faire. Sur les baisses d’impôt, Matignon prône la modération mais s’incline. Et quand éclate l’affaire Benalla, en juillet 2018, Philippe est outré de n’avoir pas été prévenu mais fait rempart : à l’Assemblée comme au Sénat, il réplique en personne aux attaques de l’opposition. « Ce n’était pas un fusible, c’était le tableau électrique à lui seul! », s’amuse un ministre.
Avec les Gilets jaunes, à l’automne 2019, la tension monte d’un cran. La garde macroniste en veut au chef du gouvernement. « La taxe sur le gazole, les 80 km/h, c’est lui, rappelle un ministre. À ce moment-là, il s’est mis à personnifier la raideur technocratique. » Les amis de Philippe le sentent déboussolé. « Il ne voyait pas ce qui n’avait pas marché et il n’avait pas envie de s’interroger, aucune introspection, se souvient l’un d’eux. La fiscalité, la sécurité routière, c’est l’État, et l’État, il connaît. C’est son côté Juppé, droit dans ses bottes. » Après s’être agrippé à l’augmentation de la taxe sur les carburants, il annonce un « moratoire » le 4 décembre. Le lendemain, l’Élysée rectifie : la hausse est « supprimée ». Plus qu’une nuance, c’est un camouflet.
J’ai dit au Président que s’il a besoin d’un acte II, il vaut peut-être mieux changer d’incarnation
Pour arrêter la fronde, Macron sort le grand jeu : une opération séduction auprès des élus locaux avec le grand débat, où il met en scène son brio oratoire, et des mesures pour le pouvoir d’achat dont le total dépassera 13 milliards d’euros. À Matignon, où règne l’orthodoxie budgétaire, on grimace. Si le Président « lâche tout », comment rester crédible pour réformer? Cette question, Philippe va la poser à Macron. Dans les derniers jours de 2018, au cours de l’un de leurs rares tête-à-tête (ils en auront moins de dix en trois ans), il se déclare prêt à se démettre si la situation l’exige.
« J’ai dit au Président que s’il a besoin d’un acte II, il vaut peut-être mieux changer d’incarnation », explique-t-il à ses fidèles. « La question du départ n’a jamais été taboue entre eux, assure l’un de ces témoins. Il ne voulait pas s’accrocher à son fauteuil mais, au contraire, montrer sa loyauté. » Ce jour-là, Macron lui demande de rester. Il parle au juppéiste qui est en lui : il lui promet que les réformes continueront.
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Source : REVELATIONS. Emmanuel Macron-Edouard Philippe : l’histoire secrète de leur divorce