Pierre Merle : Le « grand oral », une épreuve mal pensée et injuste

La première difficulté est qu’il s’agit d’ajouter aux quatre écrits des épreuves terminales du bac une 5e épreuve orale passée par tous les candidats. Outre le défi organisationnel – il faudra disposer sur une durée brève d’un nombre considérable de salles de cours -, cette épreuve représentera un demi-million d’heures supplémentaires liées à la présence de deux examinateurs mobilisés pour environ 750 000 candidats pendant une durée de 20 minutes. Le choix de cette durée montre la méconnaissance ministérielle des compétences lycéennes. Au bac, pour les oraux de rattrapage d’une durée réglementaire de 10 minutes, beaucoup d’exposés ne dépassent pas les 3 à 4 minutes. Les correcteurs, même en multipliant les questions, ont souvent des difficultés à respecter le temps prescrit. Que de moments difficiles à prévoir pour les élèves et les professeurs avec un « grand oral » de 20 minutes ! Que de temps perdu et d’argent inutilement dépensé ! Si le ministre souhaite alléger les épreuves finales du bac, gérer au mieux son budget et susciter l’adhésion à cette nouvelle épreuve, le futur grand oral est un exemple de mauvais choix.

 

 

Des épreuves socialement discriminantes

 

Evaluer des compétences, effectivement « fondamentales » dans la vie, sans former au préalable les élèves est contraire aux missions de l’école et des professeurs. En l’absence de préparation spécifique, les élèves vont être livrés à eux-mêmes. Les parents diplômés de l’enseignement supérieur vont pouvoir conseiller leurs enfants. À l’inverse, les enfants d’origine populaire ne pourront guère profiter d’un tel accompagnement parental. Lorsque le ministre affirme que le grand oral va « compenser les inégalités entre élèves en préparant tout le monde à la réussite de l’examen » alors même qu’il n’accorde pas aux professeurs les moyens de compenser celles-ci, il contribue à accroître les inégalités qu’il souhaite réduire.

 

Un fort aléa évaluatif

Le dernier problème posé par le grand oral est son évaluation. La réglementation présente une grille d’évaluation fondée sur cinq critères (« qualité orale de l’épreuve », « qualité de la prise de parole en continu », « qualité des connaissances », « qualité de l’interaction », « qualité et construction de l’argumentation ») (cf. annexe). En fonction du niveau de maîtrise de ces qualités, les examinateurs disposent de quatre niveaux d’appréciation (très insuffisant, insuffisant, satisfaisant, très satisfaisant).

 

 

Source : Pierre Merle : Le « grand oral », une épreuve mal pensée et injuste

 

Pierre Merle

Professeur de sociologie, Institut National Supérieur du Professorat et de l’Education

Ouvrage  Les pratiques d’évaluation scolaire. Historique, difficultés, perspectives, PUF, 2018.

 

Source : Bulletin officiel spécial numéro 2 du 13 février 2020

http://www.cafepedagogique.net/lexpresso/Pages/2020/03/02032020Article637187291563966493.aspx

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