Sans Charles de Gaulle, les relations France-Chine auraient été bien différentes | Slate.fr

<p>Le général Charles de Gaulle, le 16 mars 1963.|&nbsp;Eric Koch for Anefo <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bezoek_President_De_Gaulle_aan_Nederland._Nr._4,_5,_6,_7_De_Gaulle,_Bestanddeelnr_914-9330.jpg">via Wikimedia Commons</a><br></p>

Le général Charles de Gaulle, le 16 mars 1963.| Eric Koch for Anefo via Wikimedia Commons

 

De son côté, Charles de Gaulle commente cette reconnaissance diplomatique quatre jours plus tard, le 31 janvier, au cours d’une des deux conférences de presse qu’il organise chaque année. Il passe vingt minutes à expliquer que «le poids de l’évidence et de la raison pesant chaque jour d’avantage, la République française a décidé de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique». Il présente «cet État plus ancien que l’histoire, […] constamment résolu à l’indépendance, s’efforçant sans relâche à la centralisation, replié d’instinct sur lui-même et dédaigneux des étrangers, mais conscient et orgueilleux d’une immuable pérennité, telle est la Chine de toujours!».De Gaulle parle aussi de la place stratégique de la Chine et des espoirs que la France place dans une coopération technique et culturelle avec ce pays. À l’attention de tous ceux, notamment aux États-Unis, qui désapprouvent avec virulence cette initiative française, il précise: «Il n’y a évidemment là rien qui implique aucune sorte d’approbation à l’égard du régime qui domine actuellement la Chine.»«Il n’y a pas de pays qui n’a pas de tache dans son histoire»Très vite, un petit groupe de diplomates français part pour Pékin afin de préparer l’installation d’une ambassade de France. Claude Chayet mène cette délégation. Il a vécu enfant en Chine où, autour de 1930, son père était diplomate. Avant de quitter Paris, il est reçu à l’Élysée par le général de Gaulle et racontera plus tard lui avoir «demandé s'[il] devai[t] exiger de récupérer l’ambassade d’avant l’arrivée des communistes en 1949». Celle-ci se situait dans l’ancien quartier des concessions et, précisait Claude Chayet, «pour les Chinois, les concessions sont une tache dans l’histoire». «Il n’y a pas de pays qui n’a pas de tache dans son histoire, répond le général. Vous réclamerez une ambassade.»

Source : Sans Charles de Gaulle, les relations France-Chine auraient été bien différentes | Slate.fr

 

Sans Charles de Gaulle, les relations France-Chine auraient été bien différentes

Le 27 janvier 1964, le général liait officiellement la France à «cet État plus ancien que l’histoire», alors ignoré par l’Occident et brouillé avec l’Union soviétique. Une décision qui a notamment préparé le terrain au président américain Richard Nixon.

<p>Le général Charles de Gaulle, le 16 mars 1963.|&nbsp;Eric Koch for Anefo <a href="https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Bezoek_President_De_Gaulle_aan_Nederland._Nr._4,_5,_6,_7_De_Gaulle,_Bestanddeelnr_914-9330.jpg">via Wikimedia Commons</a><br></p>
Le général Charles de Gaulle, le 16 mars 1963.| Eric Koch for Anefo via Wikimedia Commons

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En 1964, il y a soixante ans, la guerre d’Algérie avait pris fin depuis deux ans et le général de Gaulle estimait que le temps était venu d’affirmer «la volonté de la France de disposer d’elle-même». Il s’agissait donc de mettre en avant des positions véritablement françaises sur quelques dossiers internationaux. Dès lors, l’Hexagone prenait ses distances avec l’OTAN et, en 1966, elle allait quitter sa participation au commandement de cette organisation de défense dominée par les États-Unis.

Dans une même logique d’indépendance, Charles de Gaulle s’éloignait de la politique indochinoise américaine et refusait d’envoyer des troupes au Vietnam comme le suggérait le pacte de Manille. Mais le plus spectaculaire a été, en janvier 1964, l’établissement de relations diplomatiques franco-chinoises.

La Chine était alors ignorée par l’ensemble du monde occidental et, depuis 1960, elle était également brouillée avec l’Union soviétique. En octobre 1963, Edgar Faure, qui a été président du Conseil sous la IVe République, est envoyé secrètement par de Gaulle en mission à Pékin. Il constate que les principaux dirigeants chinois, dont Mao Zedong et Zhou Enlai, sont d’accord pour établir des relations avec la France.

Plus tard, c’est André Bettencourt qui se rend en Chine pour établir les détails de ce rapprochement diplomatique avec la France. Cet homme politique, qui est aussi l’un des dirigeants de L’Oréal, a été ministre dans les années 1950 et le sera à nouveau en 1966. Avec ces deux émissaires français, les dirigeants chinois insistent sur un point: la France doit rompre ses relations avec le régime nationaliste de Taïwan.

Le «geste très important» de la France

Le 27 janvier 1964, la reconnaissance diplomatique entre Paris et Pékin est établie. Le ministère chinois des Affaires étrangères en informe aussitôt Mao Zedong. À cette époque, celui-ci est quelque peu tenu à l’écart du pouvoir pour avoir, en 1959 et 1960, mené la politique du «Grand Bond en avant», qui a entraîné un véritable désastre économique. Mao Zedong a donc du temps pour étudier l’anglais avec une diplomate anglophone, Zhang Hanzi. Celle-ci racontera bien plus tard que «Mao s’ennuyait, c’est pour ça qu’il [lui] avait demandé de lui donner des cours d’anglais. [Ils] travaillai[en]t sur la version anglaise de ses écrits.» Ce 27 janvier 1964, Mao Zedong déclare à Zhang Hanzi que la France a fait «un geste très important».

De son côté, Charles de Gaulle commente cette reconnaissance diplomatique quatre jours plus tard, le 31 janvier, au cours d’une des deux conférences de presse qu’il organise chaque année. Il passe vingt minutes à expliquer que «le poids de l’évidence et de la raison pesant chaque jour d’avantage, la République française a décidé de placer ses rapports avec la République populaire de Chine sur un plan normal, autrement dit diplomatique». Il présente «cet État plus ancien que l’histoire, […] constamment résolu à l’indépendance, s’efforçant sans relâche à la centralisation, replié d’instinct sur lui-même et dédaigneux des étrangers, mais conscient et orgueilleux d’une immuable pérennité, telle est la Chine de toujours!».

De Gaulle parle aussi de la place stratégique de la Chine et des espoirs que la France place dans une coopération technique et culturelle avec ce pays. À l’attention de tous ceux, notamment aux États-Unis, qui désapprouvent avec virulence cette initiative française, il précise: «Il n’y a évidemment là rien qui implique aucune sorte d’approbation à l’égard du régime qui domine actuellement la Chine.»

«Il n’y a pas de pays qui n’a pas de tache dans son histoire»

Très vite, un petit groupe de diplomates français part pour Pékin afin de préparer l’installation d’une ambassade de France. Claude Chayet mène cette délégation. Il a vécu enfant en Chine où, autour de 1930, son père était diplomate. Avant de quitter Paris, il est reçu à l’Élysée par le général de Gaulle et racontera plus tard lui avoir «demandé s'[il] devai[t] exiger de récupérer l’ambassade d’avant l’arrivée des communistes en 1949». Celle-ci se situait dans l’ancien quartier des concessions et, précisait Claude Chayet, «pour les Chinois, les concessions sont une tache dans l’histoire»«Il n’y a pas de pays qui n’a pas de tache dans son histoire, répond le général. Vous réclamerez une ambassade.»

Mais une fois à Pékin, les autorités chinoises font savoir à Claude Chayet qu’il sera très difficile de rendre à Paris son ancienne ambassade. Ce qui signifie que c’est un non définitif. Il est proposé à la France de choisir entre deux bâtiments à peu près semblables dans le quartier de Sanlitun, dans l’est de la capitale. «J’ai choisi celui où le salon était au rez-de-chaussée, en me disant qu’il n’y aurait pas de jambes cassées dans l’escalier lors des réceptions du 14-Juillet», explique Claude Chayet, qui occupera les fonctions de premier conseiller jusqu’en 1966. Quant à l’ambassade de France, elle restera au même endroit jusqu’en 2011, année durant laquelle un autre bâtiment sort de terre pour l’accueillir.

En mai 1964, le premier ambassadeur de France dans la Chine communiste prend ses fonctions à Pékin. Il s’agit de Lucien Paye, un diplomate gaulliste qui a notamment été ministre de l’Éducation nationale en 1961. Il est très favorablement accueilli par les autorités chinoises. La France est alors bien vue à Pékin pour avoir condamné l’intervention américaine au Vietnam et refusé de signer, en 1963, un accord proposé par Moscou en vue de limiter l’expérimentation des bombes nucléaires. Dans ce domaine, la France est prévenue avant tout autre pays lorsque la Chine, en octobre 1964, devient la cinquième puissance nucléaire au monde en faisant exploser sa première bombe atomique sur le site du Lob Nor, dans la région du Xinjiang.

Le dîner d’André Malraux au Palais du peuple

L’ambassadeur a de bons contacts avec Chen Yi, le ministre chinois des Affaires étrangères. Il est l’un des très rares diplomates autorisés à voyager dans de lointaines provinces, comme le Sichuan ou le Yunnan. Et Lucien Paye est aussi aux côtés d’André Malraux –alors ministre de la Culture– lorsque celui-ci rencontre Mao Zedong au cours d’un dîner au Palais du peuple en 1965.

Curieusement, dans ses Antimémoires, publiées en 1967, André Malraux ne relate pas que le dirigeant chinois lui a fait part de son désir de bousculer le mode de direction de la Chine. Cette annonce de la Révolution culturelle est en revanche remarquée par les quelques autres Français qui accompagnent le ministre. Parmi eux, se trouvent André Bettencourt qui, de retour à Paris raconte ses impressions sur Mao Zedong en disant: «C’est à la fois un grand homme d’État, c’est incontestable, c’est aussi un philosophe, on pourrait même dire que c’est un sage.»

Sur le plan commercial, les retombées de la reconnaissance diplomatique sont limitées même si, en 1965, une exposition de produits industriels français est organisée à Pékin. En matière aéronautique, la Chine semble avoir été intéressée par l’achat de Caravelle. Mais la présence, dans les moteurs de cet avion, de plusieurs éléments américains empêchera toute vente par la France. En revanche, Berliet parviendra à fournir à la Chine des exemplaires de son camion «100 tonnes» en les exportant à partir d’une usine située en Algérie. Quant au procédé de télévision Sécam, il ne sera pas acheté mais copié par des techniciens chinois. Ce seront finalement le blé et les céréales qui seront les principales exportations françaises vers la Chine.

Bisbilles autour du bâtiment de l’avenue George-V

Parallèlement, Huang Zhen, ancien compagnon de Mao Zedong lors de la Longue Marche, a été nommé ambassadeur à Paris, où il arrive en juin 1964. En février, un chargé d’affaires, Song Zhiguang, l’a précédé en compagnie de cinq diplomates parmi lesquels Wang Hua, 26 ans, parfait francophone. Venus de Genève, ils sont attendus gare de Lyon par une centaine de journalistes.

Logiquement, ils auraient dû s’installer dans l’ambassade de Chine, avenue George-V, dans le VIIIe arrondissement de Paris, mais les Taïwanais ont fait de ce lieu leur ambassade auprès de l’Unesco. Les six diplomates venus de Pékin logent donc à l’hôtel Intercontinental. «Ce qu’on mangeait au restaurant était détaillé dans les journaux du lendemain. Mais quand on sortait en veste grise à col Mao, les gens nous faisaient des signes d’amitié»se souviendra Wang Hua.

Au bout de deux mois, les diplomates chinois louent un immeuble à Neuilly. Wang Hua repère une villa en vente qui convient comme résidence pour l’ambassadeur. La propriétaire est américaine; l’ambassade des États-Unis à Paris lui déconseille de conclure. Les Chinois la persuadent que, dans une économie de marché, chacun est libre de vendre à qui il veut.

En janvier 1965, lors des vœux au corps diplomatique à l’Élysée, Charles de Gaulle demande à Huang Zhen si son installation à Paris se passe bien. L’ambassadeur s’enhardit à répondre que ce serait sans doute mieux si la Chine populaire pouvait s’installer dans le bâtiment de l’avenue George-V. Dans les jours qui suivent, les diplomates taïwanais sont vivement invités à laisser la place aux Chinois de Pékin. L’ordre est venu du cabinet du général.

«Être traité de chiens par des Pékinois, voilà qui est cocasse»

Mais à partir du printemps 1966, le déclenchement de la Révolution culturelle change totalement l’atmosphère politique à Pékin. Les contacts avec l’ambassade de France s’arrêtent. Dans le but de reprendre totalement le pouvoir, Mao Zedong commence par provoquer un climat de désordre maximum en appelant à la révolte des masses contre les dirigeants et les élites. Tout est bon pour critiquer l’ordre établi, y compris dans le domaine international. En 1967, des Gardes rouges manifestent devant l’ambassade de France pour protester contre des incidents survenus à Paris lorsque la police a empêché des étudiants chinois de s’attaquer à l’ambassade soviétique.

Puis, en soutien à des manifestations survenues à Djibouti –qui était alors, sous le nom de Côte française des Somalis, un territoire d’outre-mer français–, il est écrit en idéogrammes sur un mur de l’ambassade de France à Pékin: «À bas les têtes de chiens français! Sortez de Djibouti!»

La municipalité de Pékin ne parviendra jamais à effacer ces phrases qui, au fil des années, réapparaîtront régulièrement les jours de pluies. Mais sur le moment, en août 1967, alors qu’il reçoit le général Jacques Guillermaz, brillant sinologue qui vient de quitter son poste d’attaché militaire à Pékin, Charles de Gaulle ironise en disant: «Être traité de chiens par des Pékinois, voilà qui est cocasse.» Avant d’estimer, devant son hôte, que «les avantages immédiats de la reconnaissance de la Chine ne sont pas apparents». L’année suivante, Pékin approuve solennellement les révoltes de Mai 68 à Paris, au cours desquelles s’illustrent quelques groupes maoïstes.

Tout au long de cette période durant laquelle la Révolution culturelle bat son plein en Chine, l’ambassade à Paris se montre particulièrement discrète. Un groupe de diplomates qui se sont décrétés Gardes rouges veille à établir une parfaite égalité. Il est ainsi très probable que l’ambassadeur ait été obligé, certains jours, de se tenir au standard téléphonique.

Ce que Richard Nixon doit à Charles de Gaulle

Un voyage de Charles de Gaulle en Chine était en préparation pour le printemps 1971. Il n’aura pas lieu, le général étant mort en novembre 1970. C’est Maurice Couve de Murville, qui avait été ministre des Affaires étrangères puis Premier ministre du général, qui effectue une visite à Pékin et dans quelques autres villes chinoise en 1970. À son retour, comme des journalistes lui demandent ses impressions de voyage, il répond par cette phrase d’une parfaite banalité diplomatique: «La Chine est un grand pays plein de contrastes.»

Mais en ces débuts des années 1970, la Chine va décider de sortir de son isolement. Craignant une attaque soviétique, Mao Zedong et Zhou Enlai reçoivent secrètement le conseiller à la sécurité nationale des États-Unis Henry Kissinger, ce qui prépare la visite en Chine du président américain Richard Nixon de février 1972. L’année suivante, Georges Pompidou effectue le premier voyage d’un président de la République française en Chine.

Après la mort de Mao en 1976 puis, deux ans plus tard, l’arrivée au pouvoir de Deng Xiaoping, la Chine entame des réformes qui vont l’amener à s’ouvrir économiquement au reste du monde. Dès lors, Paris est en concurrence avec les autres puissances occidentales, qui, les unes après les autres, ont reconnu Pékin. Tout au plus, Henry Kissinger et Richard Nixon diront-ils que le général de Gaulle leur a préparé le terrain. Et en Chine, citer Charles de Gaulle est resté une obligation dans tout discours officiel où il est question de la France.

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