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Steinbeck en Pléiade : sortie d’usine

LA COUVERTURE « HAVANE » DES ROMANS DE STEINBECK DANS LA COLLECTION LA PLEIADE EN PEAUX DE MOUTONS NÉO-ZÉLANDAIS – PHOTO STEPHANE DE SAKUTIN / AFP
Quatre romans de Steinbeck sortent ce jeudi dans la prestigieuse collection de Gallimard, dont le processus de fabrication n’a pas changé depuis 1931. De la papeterie à la reliure, visite des ateliers de la Pléiade.
Par Éric Dupuy,
avec Hugues Honoré (AFP) Créé le 02.03.2023 à 14h48 ,
Mis à jour le 02.03.2023 à 17h44
Plus de 60 ans après son prix Nobel, John Steinbeck fait son entrée à la Pléiade, la fameuse bibliothèque de Gallimard dont le catalogue forme un Panthéon des lettres. Le volume consacré à John Steinbeck réunira En un combat douteux (1936), Des souris et des hommes (1937), Les raisins de la colère (1939) et A l’Est d’Eden (1952). Comme tous les autres ouvrages de la Pléiade, sa fabrication a suivi un protocole méticuleux.
Trois usines de confection
Depuis la création de la collection en 1931, intégrée aux éditions Gallimard en 1933, la maquette n’a pas bougé. Format poche, papier bible opacifié, caractères Garamond, couverture cuir, dos doré à l’or fin, étui blanc : les ouvrages de la Pléiade sont immédiatement reconnaissables. C’est le résultat d’une « exigence » dans tout le parcours de fabrication, comme le souligne Pascal Lenoir, le directeur de production de Gallimard. « Le lecteur de la Pléiade, dit-il, s’attend à ce que son volume acheté en librairie soit parfait ».

La fabrication d’un volume est un processus industriel et artisanal de haute précision qui ne nécessite pas moins de trois usines : une fabrique de papier ultrafin, une imprimerie et un atelier de reliure et décoration.
Papier bible 36 chamois
La création physique de l’ouvrage commence donc à la Papeterie du Léman, près du lac du même nom, à Publier (Haute-Savoie).
Quand elle a commencé à travailler pour la Pléiade, cette papeterie appartenait au groupe Bolloré. Et même si son propriétaire l’a revendue en 2009 et s’est diversifié au point de devenir rival de Gallimard dans l’édition, son nom reste imprimé en fin de volume : le précieux papier est toujours signé Bolloré Thin Papers.
Il sort de la machine à papier n°4. « Elle fait à peu près 80 mètres de long, du début à la fin, sur trois étages, puisqu’il y a énormément d’étapes pour fabriquer une feuille de papier », explique Ivan Fourmond, le responsable de production. Elle crache de grosses bobines, parfaitement lisses et uniformes. Cette machine travaille à la commande quelques fois par an seulement. Pour le volume de John Steinbeck, c’était début décembre: lui aussi bénéficie du papier bible 36 chamois. Soit un poids de 36 grammes par mètre carré, coloré d’une nuance de jaune proche du beige.

L’alignement des blocs de texte est vérifié à l’oeil
Les bobines prennent ensuite la direction du site de Normandie Roto Impression, en périphérie d’Alençon, à 800 km de là. Le seul qui ait la confiance des éditions Gallimard.
Là, « le papier vierge rentre dans le groupe d’impression. On imprime recto-verso et en deux cahiers de 48 pages. C’est-à-dire qu’on imprime 96 pages en une rotation du groupe d’impression », détaille Christophe Pillon,directeur général du site. Le résultat est ensuite vérifié par l’œil humain. L’alignement des blocs de texte recto et verso doit être impeccable. Posés à plat, les cahiers partent alors pour la dernière étape, aux Ateliers Babouot, de Lagny-sur-Marne (77).

Ils vont commencer par y reposer dans un entrepôt de 3.700 m2, qui compte en réserve quelque 300 auteurs différents dont les œuvres sont prêtes à être reliées de nouveau. La Pléiade est en effet un cas quasi unique de réimpressions s’étalant sur des décennies.
Des couvertures décorées à l’or 23 carats
Installé près des bords de Marne depuis un demi-siècle, les Ateliers sont volontairement humides, une hygrométrie plutôt élevée permettant au papier bible de conserver plus de souplesse et de régularité. Les tâches qui se succèdent ensuite pour le transformer en livre demandent le même soin. « Nos machines doivent se plier à l’exigence de Gallimard » et « l’opérateur doit s’adapter aux machines de différentes époques », souligne Marie-Amandine Erika, technicienne de fabrication.
Défauts d’impression ou de pliure sont d’abord traqués. Puis les cahiers sont assemblés avec du fil de couture en coton, collés ensemble, dotés d’une page de garde, maintenus dans une « mousseline » et massicotés. Il faut ensuite leur adjoindre la fameuse couverture cartonnée habillée de cuir, des peaux de moutons de Nouvelle-Zélande tannées et teintes en France. A chaque siècle sa couleur : havane pour le XXe, donc pour Steinbeck. Les dos, soumis à une courbure élégante par une machine, sont décorés à l’or 23 carats, avec des fers qui appliquent les rayures horizontales caractéristiques de la collection. Pour 260.000 exemplaires par an, Gallimard consomme quelque 45 kg du précieux métal.
Contrôlé et recontrôlé à chaque étape, chaque volume est achevé, à la main, quand il reçoit sa jaquette plastique transparente en rhodoïd et son étui. Le travail des Ateliers aura duré trois semaines. Voilà Steinbeck en 1664 pages enfin prêt à rejoindre le diffuseur puis les rayons des libraires. Au début de l’introduction du volume, page IX, le lecteur découvrira ses mots de 1939 : « Je n’ai jamais voulu être un écrivain populaire ». Il est vrai qu’en Pléiade Steinbeck aura eu un traitement de luxe fort peu prolétarien.

La Pléiade, des classiques très rentables
Au premier semestre 2023, quatre auteurs font leur entrée dans ce catalogue de plus de 650 ouvrages : Colette en janvier, Steinbeck en mars puis Yves Bonnefoy, sept ans après sa mort, et enfin Louis-Ferdinand Céline avec une édition augmentée des inédits récemment publiés.
« Nous vendons 230 000 à 240 000 exemplaires par an », dont 7% à l’export, indiquait en 2021 à Livres Hebdo Jean-Charles Grunstein, directeur commercial de la maison. Cela représente 10% du chiffre d’affaires net de Gallimard, qui soigne l’image de marque de cette collection perçue comme un objet de luxe. « Plus la bibliothèque est visible, mieux elle se vend », assurait-il. L’éditeur distribue auprès des libraires des chaînettes pour permettre la consultation des exemplaires et organise des rencontres en librairies.
La meilleure vente du fonds de la Pléiade reste Antoine de Saint-Exupéry, suivi de Proust, Camus, Verlaine et Rimbaud. Du Théâtre espagnol du XVIIe siècle (4 400 exemplaires vendus) aux Misérables de Victor Hugo (plus de 130 000 exemplaires écoulés), la Bibliothèque, dont la valeur totale dépasse les 15 000€, se veut universelle.
Avec Isabel Contreras