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L’été comme aucune autre saison ouvre le grenier de nos souvenirs. Promenade nostalgique dans les beaux jours des Trente Glorieuses.Pascal Praud 20/08/2023 à 12:12
Mes grands-parents étaient nés en 1907 et 1908 dans une commune de Vendée, Bretignolles-sur-Mer qui comptait 1 200 habitants. Ils s’appelaient Marius et Sylvanie. Ils ont habité de ma naissance jusqu’à leur mort dans
le même appartement au 3, place de la Bourse, à Nantes, où pas un fauteuil, pas une table, pas un napperon n’a bougé. Le seul changement en
trente ans fut l’entrée dans le salon d’un téléviseur couleur qui remplaça le noir et blanc.
Ma grand-mère ne s’est jamais remise de Vatican II. L’abandon de la messe en latin est une blessure qu’elle a portée jusqu’à la tombe.
Mon grand-père ne comprit pas que j’apprisse la langue allemande lorsque j’entrais en sixième, lui orphelin de guerre, pupille de la nation, lui
dont le père était mort à Verdun en 1916.
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« Tata, tu piques ! » Quand l’été arrivait, mes grands-parents partaient
pour Bretignolles-sur-Mer et nous emmenaient parfois, mon frère et moi, dans leurs bagages.
Nous prenions le car ; mes grands-parents ne possédaient pas d’automobile. C’était l’occasion de voir la famille, des cousins, cousines qui parlaient un dialecte local, le patois vendéen, dont on ne comprenait pas un mot et des tantes à moustaches qui nous embrassaient à qui mieux mieux dans des saveurs de vinasse, de sueur et – j’ose
le dire – de pisse. « Tata, tu piques ! », risquais-je dans un souffle. « On ne parle pas comme ça pas à Tante Marie », rétorquait ma grand-mère qui
était aussi sa sœur. Tante Marie n’avait jamais quitté Bretignolles. Le sol de sa maison était en terre battue. Je l’ai toujours vue habillée de noir.
Elle était veuve comme étaient veuves très jeunes les femmes de marins-pêcheurs. Ma grand-mère avait préféré la ville. Elle était partie pour Nantes dans les années 1930. Son métier de couturière signifiait une promotion sociale.
Je parle chinois pour les ados du XXIe siècle. Aujourd’hui, il n’y a plus de différence entre Paris, Nantes et Bretignolles-sur-Mer. Les jeunes s’habillent tous chez H&M ou chez Zara. Le patois est une langue morte. Imaginez la France rurale du début du XXe siècle et songez qu’elle vivait ses derniers feux durant les années 1970.